Apres 25 ans de tatouage, bernard lompre se dédie a la peinture d'art

Erik Lompré dessine votre futur tatouage

Dessin psychographique

Rencontre Tatoueurs 6

Il utilise des aiguilles à coudre du format le plus fin. Il lie avec du fil à coudre trois de ces aiguilles, sur une allumette. Il les serre bien et jusqu’au bout, ne laissant apparaître de la surliure que les trois minuscules pointes, parfaitement égalisées. Il fixe ces aiguilles montées sur la partie vibrante d’un rasoir de voyage, toujours au moyen du fil à coudre. Il sort d’un sac une capsule de bière propre qu’il pose à côté de la bouteille d’encre de chine noire. Il se tourne vers moi. Il m’attend. Il sait que je suis venu pour le rencontrer et non pour me faire tatouer, c’est un de ces hommes à qui il est inutile de se présenter, il savait déjà… Pourtant c’est avec bonne grâce qu’il se prête aux confidences:

 

– Mes amis pensent que je suis Marquisien, pourtant je suis originaire de Tahaa. Il y a douze années environ, j’ai commencé tout seul à tatouer les copains, puis, trois ans plus tard, avec mon inséparable copain, nous avons commencé la réalisation de nos tatouages personnels. Il me tatouait, et moi je le tatouais.

 

– Ensuite ?- L’année suivante mon copain est allé à Papeete pour acheter un rasoir de voyage et nous avons alors eu une machine à tatouer. Cela a changé notre manière de tatouer. Avant la machine, nous faisions cela à la main, en attachant les aiguilles sur un bâton. Nous avions la sensibilité, et cela a été immédiat de travailler à la machine. Puis il y a eu le festival des arts aux Marquises, à Nuku Hiva, nous avons présenté quinze tatoués, nous étions les seuls tatoueurs des Marquises à ce festival.

 

– Quel est ton idée du tatouage ?

 

– Du polynésien, toujours que du polynésien, j’ai fait un mélange entre le tatouage marquisien et tahitien, je prends des motifs traditionnels que je tatoue à ma façon, je réalise toujours des tatouages originaux, je ne fais jamais deux fois le même. Par exemple, un touriste me demande une tortue que j’ai sur le cahier, je vais la réaliser un peu mieux, elle sera toujours un peu plus jolie sur le client que sur le cahier. Tu vois dans l’ancien temps, il y avait la création et la tradition, maintenant il y a la perfection, l’imagination, et l’évolution; c’est un tout. Quand on me demande de parler d’un tatouage, je dis simplement admire et c’est tout parce que ça, c’est de l’art.

 

– Comment cela ?

 

– Pour moi, le vrai tatouage, il faut en premier lieu bien réfléchir, et enfin l’accepter profondément. Le tatouage ce n’est pas pour faire beau, c’est pour prouver notre vraie identité culturelle. Du temps de nos ancêtres, si tu n’étais pas tatoué, tu étais rejeté de la société, c’était obligé, obligé, obligé. Maintenant c’est au tour des jeunes de se tatouer pour que notre peuple se retrouve, mais avec de l’art. C’est pour cela que, quand je vois les nouveaux tatoueurs, je suis content de ce travail car je sens que plus nous serons tatoués, mieux nous serons, dans notre identité de polynésien.

 

– Es tu content de cette nouvelle génération ?

 

– Oui, très content, et il y a une chose que j’aimerai leur transmettre, c’est mon expérience avec mon jeune frère: Je l’ai tatoué, tout un côté, et j’en ai fait mon chef d’œuvre. Comme c’était mon petit frère, j’étais sûr de toujours le revoir et je n’ai pas compté, ni mon temps ni la qualité des motifs qu’il a eu.

 

– Dans la pratique, comment cela s’est-il passé ?

 

– A ce moment là, je ne travaillais pas et j’ai pu consacrer tout mon temps pour lui, tous les jours, et même toutes les nuits. Le matin je le tatouais, je commençais par dessiner les dessins dont j’avais rêvé pendant la nuit, puis je faisais le remplissage. Au bout de quelques temps, il y avait des rêves forts, des milliards de dessins qui se bousculent dans ma tête. Plus j’avançais dans le travail, plus il y avait des dessins nouveaux, c’était magique, c’était fantastique, cela venait tout seul. Et le matin je n’avais pas à chercher, il suffisait que je choisisse l’un des dessins que j’avais vu pendant la nuit et c’était fort, vraiment très fort. Chaque jour cela montait encore plus fort, jusqu’au jour ou j’ai arrêté, et cela s’est calmé. Maintenant ma création est moins forte bien qu’il reste toujours quelque chose de ce tatouage marathon..

 

– Tu as vécu une expérience hors du commun, n’est ce pas ?

 

– Je crois que c’est pareil pour tous, si tu te donnes à fond, et que vraiment tu y crois, là, tu montes, tu montes, c’est comme Gauguin ou Picasso, ils ont tout donné, c’est ça l’art, c’est quand tu es tout au bout que ça vient, là tu es dans le chef d’œuvre, tu deviens l’art.

 

– Combien de temps a duré cette expérience?

 

-Trois mois, tous les jours, sans une exception, trois mois, de huit heures à trois heures de l’après midi. La création cela venait le soir et la nuit. Le matin je savais chaque fois quoi dessiner. C’est ça que je veux dire à ceux qui commencent il faut beaucoup de courage, et il faut qu’ils s’attachent à un chef d’œuvre, au bout d’un certain temps, ils vont être fou de leur art. C’est comme si c’est quelqu’un d’autre qui te donne les motifs.

 

– Quelqu’un d’autre ?

 

– On va me traiter de fou, mais je pense à quelque transmission ancestrale, ou autre chose comparable, mais que je ne connais pas. Quand je suis dans mon chef d’œuvre, ce n’est plus moi qui travaille, je ne suis plus le même, je suis transformé, c’est fort, ça monte. Après, quand je regarde le travail qui avance, je sais que ce n’est pas que moi qui ait fait ça.

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